La thématique des règlements des différends en droit fiscal international, outre le fait de renfermer un bon sujet de thèse, se pose comme une question fondamentale dans nos environnements contemporains. Peut-on encore en effet seulement aborder la fiscalité dans un cadre purement domestique, en la soustrayant à toute influence internationale ? Le point d’interrogation qui ponctue cette dernière phrase n’est que pièce rapportée, tant la réponse transpire déjà dans la question. Car sans être nécessairement fiscaliste, tout juriste (au sens large et noble du terme) sait désormais que nos normes sont pour la plupart influencées, voire directement inspirées de sources externes, qu’il s’agisse du droit communautaire, du droit conventionnel, ou encore des travaux d’organismes qui font autorité, à l’instar de l’OCDE ou de l’OMC.

Cela étant posé, en devenant global, le sujet des règlements des différends en devient également plus complexe. Protéiforme même. En effet, la division du monde en une multitude de pays n’a eu d’équivalent que la multiplication proportionnelle des systèmes juridiques. Leur coexistence, combinée à la souveraineté des Etats et aux effets corrélatifs des crises économiques sur les finances publiques, génère forcément des frictions, dont le contribuable engagé dans des opérations transfrontalières peut faire les frais. Si vous me permettez cette digression, ces frictions sont d’ailleurs souvent provisionnées par les entreprises et les nouvelles obligations IFRIC 23, à l’instar des obligations américaines dites FIN 48, n’en sont qu’une manifestation.

Devant cette multiplication des différends, les Etat ont tôt fait d’adopter dans leurs corpus juridiques des procédures de revue, de discussion et d’arbitrage afin de garantir l’équilibre économique et politique. On retrouve ainsi des émanations de ces procédures de règlements dans le paquet fiscal de l’UE qui, dès 1990, posait déjà les bases d’une convention multilatérale d’élimination des doubles impositions ; dans le modèle de convention de l’OCDE et l’ONU ; et dans les travaux récents de l’OCDE, tout particulièrement son programme dit « BEPS ».

Dans cet environnement, la question fondamentale qui doit alors se poser me semble être celle-ci : ces règlements, nécessairement internationaux, sont-ils efficaces ? C’est ce point que je souhaiterais traiter, sous la bienveillante supervision du Professeur Stankiewicz et en complément des dires de mes éminents collègues fiscalistes, qui ont brillamment traité ce sujet avant moi.

En creux, cette question soulève le point de savoir si le contribuable a meilleur temps d’activer ces procédures internationales ou de porter le litige (car si différend il y a, il y a forcément un litige) devant les tribunaux compétents. Ces remous dissimulent en réalité un vieux serpent de mer qui refait surface au gré des affaires, celui de savoir duquel, du procès ou du règlement international, est le plus efficace. Cette question est cependant tronquée, car elle sous-entend déjà, en premier lieu, que le contribuable ait accès à un système judiciaire organisé et efficace, où les juges seraient à même de traiter de questions fiscales nécessairement complexes, car internationales. Si l’on prend l’exemple de la France, qui certainement figure parmi les Etats de droit les mieux organisés, la réponse n’est déjà pas évidente. La pratique montre déjà que, outre le délai de traitement (de plusieurs années), ces questions complexes de droit fiscal international peinent souvent à trouver une audience réceptive devant les juridictions de première instance. Il n’est pas rare en effet que le fond du dossier, autant que le droit, ne soient correctement analysés qu’en appel. A l’incertitude liée à l’issue de l’affaire (de laquelle le contribuable doit répondre devant ses actionnaires, ses commissaires aux comptes, ses investisseurs, son personnel et j’en passe) s’ajoutent les coûts de la procédure et surtout, le fait qu’une décision en justice d’un Etat donné ne saurait automatiquement et mécaniquement trouver à s’exécuter dans un autre Etat concerné par l’opération en cause.

Néanmoins, l’avocat que je suis ne saurait tolérer que l’on balaie si rapidement l’option contentieuse et ce, pour plusieurs raisons.

D’abord, seule la voie contentieuse peut régler une affaire au fond et sur la base d’une règle de droit. Les procédures internationales de règlement des différends, de même que l’arbitrage international, sont davantage des voies diplomatiques qui, bien que souvent pragmatiques, cherchent à préserver les intérêts des parties, et non pas à faire respecter la règle juridique. En cela, une même affaire, pouvant potentiellement lier les deux mêmes parties, mais portée devant deux commissions différentes (par exemple dans des pays ou à des époques différentes) pourrait accoucher de deux solutions contradictoires. La voie contentieuse nous semble de ce point de vue-là offrir davantage de garanties et de sécurité juridique.

En lien avec ce qui précède, la nature diplomatique des procédures de règlement tend à rendre l’issue des affaires portées très aléatoire. Prenons l’exemple des procédures amiables d’élimination des doubles impositions applicables en Europe. Ces procédures, qui découlent d’une convention multilatérale liant les Etats de l’Union, prévoient en théorie que les différends en matière de prix de transfert soient réglés dans un délai maximal de trois années, dont les six derniers mois sont dévolus à une procédure d’arbitrage en cas d’échec des discussions lors des phases précédentes. En pratique, nombreux sont les cas dont le traitement dépasse (parfois même très largement !) ce délai de trois années. Il n’est même pas rare qu’un différend en entraînant un autre, la procédure de règlement n’est pas encore clôturée qu’il faille déjà la lier à une seconde affaire similaire, portant sur des années ultérieures. En outre, de l’aveu même des rédacteurs auprès de l’administration fiscale qui ont à traiter de ces procédures, de nombreuses affaires sont négociées dans le cadre d’un ensemble plus vaste de litiges, au cours des réunions souvent biannuelles que les autorités fiscales organisent entre elles. La solution qui en découle relève donc parfois plus de la négociation, ou pour parler de manière plus grivoise, du marchandage de tapis, que de la lettre juridique ou de principes tout aussi nobles.

Enfin, s’il fallait citer un troisième point clivant, rappelons que le contentieux est fort heureusement ouvert à tout point de droit fiscal, là où la plupart des procédures de règlement des différends embrassent un champ d’application plus restreint. Les procédures amiables d’élimination des doubles impositions en Europe sont en effet cantonnées à la seule sphère des prix de transfert ; Les procédures amiables et d’arbitrage contenues dans les conventions internationales sont applicables aux seuls impôts couverts par ces traités. Or, on le sait désormais en France, un contribuable exonéré ou exempté d’impôt ne peut réclamer le bénéfice d’une convention internationale, dans la mesure où le juge de l’impôt estime qu’il ne peut être considéré comme un résident fiscal ; d’autres affaires m’ont également appris que certaines taxes ou impôts au Brésil ne peuvent être soldés que par la voie contentieuse, car ils ne sont pas visés par les traités.

Je suis conscient qu’en délivrant ce court exposé, je ne réponds pas à la question essentielle que j’ai pourtant moi-même posée. Permettez-moi donc de raccrocher un temps la robe et de revêtir l’habit plus conventionnel « d’homme des affaires ». Après tout, un bon fiscaliste doit d’abord et avant tout être à l’écoute de l’économie et des intérêts financiers de ses clients. Une position pragmatique me pousserait donc à encourager le contribuable vers une procédure internationale, plutôt qu’un contentieux, même si nous n’en avons pas fait mention, mais les deux pourraient tout à fait coexister.

En effet, le monde des affaires commande un traitement des différends rapide, quitte même à y laisser quelques deniers. Or, disons-le tout de go, notre système judiciaire ne brille pas par sa hardiesse, ce que la Cour européenne des droits de l’Homme ne manque pas de nous rappeler régulièrement.

Qui plus est, seule une procédure internationale permet de solutionner un litige dans tous les Etats concernés par l’opération en cause.

Enfin, comme rappelé précédemment, ces procédures internationales sont souvent seules garantes de l’élimination effective des doubles impositions, ce qui assure les droits économiques du contribuable, à défaut d’offrir une solution juridique toujours pertinente. Gageons encore que l’élan d’uniformisation (pour ne pas employer le mot d’harmonisation, plus clivant politiquement) renforcera encore davantage l’efficacité de ces procédures, là où les débats les plus récents sur la réforme de la justice effritent encore un peu plus notre système judiciaire, et la voie internationale termine de s’affirmer comme une solution adéquate, à défaut d’être parfaite.
Il y aurait encore tant à dire sur ce beau sujet, mais mes paroles ont certainement déjà mis la patience de l’auditoire à dure épreuve, et je finirais certainement par plagier ce que les éminents fiscalistes présents lors de ce colloque ont déjà exposé avec plus de talent. Je conclurai cependant par une question évidente, qui même si elle nous écarte de nos envies de juridisme, doit pourtant guider toute notre réflexion : au fond, que souhaite notre client ?

1Voir en ce sens deux arrêts du Conseil d’Etat, CE 9-11-2015 n° 370054 et 371132.

(Article paru dans la Revue Fiscalité Internationale, N°1-2020, février 2020, §10.3)

Terence WILHELM
Docteur en droit, Avocat associé CARA Avocats, Lyon